Tome 7, Dilmun

Editions Alice Jeunesse, 2014, 380 pages
Description de l'ouvrage

 

 

Extraits

Le regard du vieil homme se fit plus aigu. Thomas retint son souffle.
— J’ai donc cherché à savoir s’il existait, de par le monde, des gens capables de remonter plus loin dans le passé. J’ai épluché des centaines d’articles de presse faisant généralement référence à ce phénomène encore assez mal connu qu’est la dérive mentale. Mais je n’ai rien trouvé de bien sérieux la plupart du temps, de simples ragots ou des élucubrations populaires tenant plus de la légende urbaine que de la réalité avérée. Et puis j’ai finalement mis le doigt sur un cas beaucoup plus prometteur…
Thomas vit les sourcils de Dune Bard s’arrondir : l’impatience lui avait-elle fait lire les pensées du vieil homme ? C’était contraire au code de déontologie des télépathes…
— Il s’agit du dossier d’un tueur en série qui sévit depuis quelques années aux Ḗtats-Unis, poursuivit Arthur Nikititch. Le dossier de police a référencé plus d’une trentaine de meurtres crapuleux à son actif, mais il est probable que le nombre réel soit beaucoup plus important. Toutes ces affaires sont pour le moment non élucidées et le criminel court toujours. Un point commun entre ces différents crimes est l’absence totale de mobile apparent. Il semble que ces gens se soient tout simplement trouvés sur la route du criminel, au mauvais endroit et au mauvais moment. Tous ces crimes ont été commis à l’arme blanche, sans que les victimes ne paraissent avoir manifesté la moindre velléité de résistance. La seule explication plausible à cette surprenante passivité serait que les victimes aient été au préalable mises hors d’état de se défendre. Mais les autopsies n’ont révélé ni traumatisme ni trace de substance chimique qui auraient permis d’étayer cette hypothèse. Dans l’état actuel de l’enquête, le FBI privilégie deux pistes principales : la surprise - mais à mon sens cela demanderait des capacités de furtivité hors du commun de la part de l’agresseur - ou alors un charisme exceptionnel du criminel, qui parviendrait à rassurer ses victimes avant de commettre son méfait, voire à les hypnotiser avant de leur ôter la vie. Cette dernière hypothèse n’est pas absurde du reste…
Arthur Nikititch s’accorda une pause. Ses yeux naviguèrent de Thomas à Dune Bard, une lueur impérieuse au fond de ses prunelles.
— Cependant, il existe une troisième hypothèse, dit-il presque sans desserrer les dents. Une hypothèse que le FBI n’a pas jugé utile d’explorer, en raison de l’identité-même de celui qui en est à l’origine : un sans-domicile-fixe, toxicomane de surcroît, bien connu des services de police pour de nombreux troubles à l’ordre publique. Cet homme est la seule victime de notre serial killer à avoir survécu. Un automobiliste a dérangé l’assassin alors qu’il s’apprêtait à lui asséner un cinquième coup de couteau dans le ventre. Notre homme a survécu par miracle et a livré sa version des faits dès qu’il a été en mesure de parler : l’attaque s’était produite de nuit, alors qu’il marchait sur une route déserte après une soirée arrosée. Il raconta qu’il avait vu un homme approcher de lui à travers champs avant d’avoir subitement l’impression irrationnelle de quitter son corps. Un instant plus tard, il se serait retrouvé dans la peau d’un chasseur préhistorique, en train de traquer un mammouth blessé, en compagnie d’autres hommes vêtus de peaux de bêtes ! La scène n’aurait duré que quelques instants puis il aurait perdu connaissance à l’instant où le tueur aurait commencé à le larder de coups de couteau…
Le vieil homme se recula dans son siège, comme s’il souhaitait prendre le temps d’apprécier les réactions de son auditoire. On aurait pu entendre une mouche voler. Ela écarquillait les yeux, à mi-chemin entre incrédulité et excitation. Lindsay fut la première à rompre le silence.
— L’assassin a-t-il dérobé quelque chose à sa victime ?
— Une bouteille de bourbon à moitié vide…
La jeune femme eut l’air déconcerté. Thomas prit la parole à son tour, en regardant le responsable du Projet Atlas comme s’il venait de se faire piquer par un scorpion.
— Si je comprends bien, vous suggérez que ce… serial killer, serait capable de projeter l’esprit de ses victimes dans la tête de quelqu’un d’autre ayant vécu dans le passé, juste pour lui voler une babiole et le tuer par la même occasion ?
Arthur Nikititch hocha la tête.
— C’est ce que je crois, en effet. Cet homme est un déséquilibré mental, un dangereux psychopathe qui utilise sans discernement le pouvoir prodigieux qui est à sa disposition.
Thomas le regarda longuement dans les yeux, comme si il y lisait son avenir. Puis il fronça les sourcils.
— Et vous pensez que si nous réussissons à attraper cet homme, nous trouverons ensuite un moyen pour le contraindre à projeter mon esprit 7500 ans dans le passé ? Et qu’ensuite je parviendrai à imposer à mon hôte involontaire de découvrir pour moi la sixième Frontière ?...
— Je ne sais pas si c’est possible, avoua le vieil homme. Mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour le moment…

 

La nuit était particulièrement sombre et l’air vibrait du roulement d’un orage en cours sur le Mont Hood. Un conglomérat de nuages aussi noirs que des corbillards, qui lâchait ses éclairs sans discontinuer. Il soufflait un vent puissant, bizarrement froid pour la saison, les hautes herbes du terrain à l’abandon étaient couchées par tant de force et les arbres majestueux agitaient leurs branches de façon désordonnée. Nichée entre les arbres, la Maison du Malheur se découpait en ombre chinoise au bout d’une allée gravillonnée dévorée par la végétation.
— La vache, un vrai décor de film d’horreur, fanfaronna Pierric.
— Et tu te souviens comment finissent les films d’horreur ? rétorqua Thomas d’une voix d’outre-tombe.
— Dans un bain d’hémoglobine, gloussa son ami.
— Vous n’êtes pas drôles les garçons, les semonça Ela. Et puis parlez moins fort, on pourrait vous entendre.
— Il n’y a que nous à un kilomètre à la ronde, assura Thomas.
— Et peut-être un fantôme ou deux ? renchérit Xavier pince-sans-rire.
Ela sourit malgré elle.
— Ce ne sont que des garçons, soupira Lindsay à son attention. Faut faire avec… Venez au lieu de bavasser, on ne va pas y passer la nuit !
Ils se taillèrent un chemin à travers les herbes folles, courbés comme des mineurs dans un tunnel pour résister au vent, et atteignirent les marches d’un vaste perron couvert. C’était une haute bâtisse en bois, dont la peinture craquelée était blanche au rez-de-chaussée et rouge à l’étage. Elle était cantonnée sur deux angles par de massives tours hexagonales et couverte par une haute toiture mansardée. Une élégante galerie couverte sur deux niveaux agrémentait sa façade principale. La toiture inclinée qui descendait au gré des pignons luisait dans l’ombre, semblant ruisseler comme une chevelure détrempée. Côté droit du manoir, un immense marronnier rayait depuis des lustres le flanc de la maison. Les rafales tempétueuses ébouriffaient sa chevelure touffue et faisait grincer ses branches comme des bouts de craies sur un tableau noir.
— Freddy Crueger s’impatiente en se faisant les griffes sur la baraque, pouffa Pierric.
— Ne le faisons pas attendre alors, renchérit Pierre Andremi. Tous les volets sont fermés, il va falloir forcer la porte.
— J’ai ce qu’il faut, annonça Lindsay en montrant un fil de fer.
Elle tritura la serrure un instant avant de lâcher un hoquet de surprise.
— C’est déjà ouvert !
Elle poussa la porte qui pivota sur son axe sans un grincement.
— Nous avons forcément été précédés par des tas de curieux, imagina Ela.
Elle ne semblait qu’à moitié convaincue par sa propre explication.
— Allumez vos lampes torches, fit Xavier. Fait noir comme dans le cul d’un bourricot là-dedans !

 

Il se sentait tout entier tendu vers ce lointain passé avec lequel il avait rendez-vous. Il vécut les préparatifs comme dans un songe, laissant les officiants fantomatiques régler les derniers détails de son périple à rebours. Une fois allongé sur le sarcophage, il contempla les dalles parfaitement ajustées de la voûte. Des barres métalliques surgissaient à intervalles de la maçonnerie. Peut-être d’anciens systèmes de fixation destinés à recevoir des poulies. Elles faisaient penser à des épées le tenant en respect. Ou aux clous d’un cercueil se refermant sur lui.
Un froid glacial semblait monter du sépulcre, transperçant le matelas douillet, comme si son occupant cherchait à se repaître de sa force de vie. Il ferma les yeux pour s’isoler de ce qui l’entourait. Il se concentra sur les battements de son cœur, faisant le vide dans son esprit. Repliant progressivement sa conscience sur la seule perception de son propre corps. Palpitations cardiaques, flux et reflux respiratoire. Il perdit la notion du temps. Jusqu’au moment où la voix de sa tante résonna à l’intérieur de son crâne.
« Bon voyage, mon garçon ! »
Il battit des paupières, désorienté. L’incantatrice était penchée vers lui. Le ton avait été chaleureux, pourtant une pierre aurait eu plus d’expression que son visage. Elle incante, songea Thomas. Au même instant un brasillement d’électricité statique fit se dresser tous les poils de son corps. Il eut l’impression de s’élever au-dessus du sarcophage, d’être libéré de l’attraction terrestre. Comme si un poids énorme qu’il portait depuis toujours venait de lui être retiré. Il ne voyait plus le caveau où il se trouvait, mais il le percevait autour de lui. Tout comme il percevait la présence de Dune Bard et des autres occupants de la tombe.
Un choc abominable le projeta brutalement dans les airs, un démantèlement d’une violence inouïe qui éparpilla son corps en milliards d’atomes, en fragments de particules élémentaires soufflés par un Big Bang insensé. Il aurait hurlé s’il avait eu encore des poumons. Battu des bras et des jambes s’il avait encore existé. L’expansion ralentit, cessa, s’inversa. Aussi vite qu’il s’était désintégré, il retomba vers lui-même, s’agrégeant comme une planète en formation, bombardée de toutes parts. Explosion inversée. Tout aussi effrénée, inqualifiable. Après le Big Bang, le Big Crunch. Suivi d’une détonation de début des temps. Puis d’un silence absolu. Le calme après la tempête. Un froid glacial le saisit, plantant des aiguilles douloureuses de plus en plus profondément en lui ; le temps s’étira. Ḗtait-il en train de… mourir ?
Non, une ride parcourait le silence, un frémissement. Une rumeur de fourmilière, le piétinement de milliers de pattes minuscules. Tout n’était pas fini. Le froid disparut comme une bulle de savon que l’on pique. De nouveau des odeurs affluaient, des sons, des… pensées ! Tout commençait. Tout recommençait…
Ce ne furent tout d’abord que turbulence et confusion, désordre de sensations éclatées. Une sorte de rêve éveillé, un étourdissement permanent. Puis un écran parut se dresser, des images parurent. Thomas eut l’impression de s’élever dans le ciel, d’être en lévitation. De sentir l’air frais caresser… une peau. Pas la sienne. Un doux parfum de fleur courtisait des narines. Pas les siennes non plus. Une faible lumière crépusculaire avait triomphé de la nuit. Un rivage étranger, matérialisé autour de lui, apparut devant ses yeux. Non pas SES yeux. Mais qu’importe, il le voyait, c’est tout ce qui importait. Des pointes rocheuses érodées émergeaient d’un lac aux eaux sombres, qu’il surplombait. Au loin, des collines verte et ocre étaient tapissées d’arbres aux feuillages émeraude, sous lesquelles se lovaient d’étranges pagodes, comme autant de saillies naturelles de la roche.
La douceur du paysage était comme un baume dénouant les nerfs en pelote du garçon. Il se sentait bien. Absent et présent à la fois. Puis il pénétra dans l’esprit qui venait de l’accueillir, comme un couteau. Les pensées le submergèrent avec la force d’un tsunami. L’éblouissant de révélations. S’il avait eu une mâchoire, elle en serait tombée de surprise. Il n’en croyait pas ses sens.
Il n’avait plus peur. L’inquiétude qui le tenaillait avant le départ avait volé en éclats. Il était absorbé tout entier par le monde inconnu qui s’offrait à lui. Il remontait à tire-d’aile des souvenirs qui n’étaient pas les siens, comme on feuillette un manga. Partagé entre stupeur et émerveillement, vibrant d’exaltation, submergé par le tour improbable que prenait l’expérience de dérive mentale…

 

Les aéronautes se répandaient dans le gréement pour réduire la voilure. Dans le même temps, les cous-cerclés des bancs de rame avaient suspendu leurs efforts, plaçant les pelles triangulaires de leurs rames à l’horizontale pour ne pas freiner la vivenef. Dame Lostris et Tamgaali étaient sur le gaillard d’avant, juste à côté de la capsule de vitrair de Noddon l’Aveugle. Les crols n’allaient certainement plus tarder à surgir des flancs de la Paix des Incréés. Angu posa ses doigts secs sur la main de la jeune femme, qui ne broncha pas. Il lui lança du coin de l’œil un regard mutin.
- Voyons si j’ai réussi mon pari le plus audacieux ou bien si ce brave navire va tout simplement se démembrer au premier coup de rein des crols de Dame Lostris.
Sinsarra eut un rire bref. Luttant contre le maelström d’émotions déclenché par l’échange avec Angu, elle se concentra sur la manœuvre dans les haubans, cherchant à faire abstraction de toute autre pensée. Le jaillissement des vers de nuages à la proue la surprit tout autant que le vieil architecte, qui tressaillit involontairement. Un silence inquiet s’était subitement emparé de l’équipage de la vivenef. Tous suivaient fiévreusement la course ondulante des immenses créatures translucides. Les puissants corps annelés mesuraient plus de cinquante coudées de longueur. Ils étaient parcourus d’ondulations rythmiques qui permettaient à l’air de s’engouffrer dans l’entonnoir béant de leur bouche tapissée de crocs redoutables, puis d’être expulsé violemment par les buses orientables tapissant leur sangle abdominale.
Mais ce qui mobilisait l’attention de tous, c’était les aussières en tendon de coquillarbe – grosses comme des bras d’homme - qui reliaient la proue du navire au harnais sanglé sur les créatures volantes. Elles cessèrent soudain de se dévider et se tendirent en claquant comme des fouets géants. La Paix des Incréés craqua de toute sa membrure et bondit en avant, envoyant sur les fesses tous les aéronautes qui ne s’étaient pas solidement agrippés. Sinsarra avait fermement ceinturé Angu d’un bras pour lui éviter d’être déséquilibré et s’était retenue de l’autre à la roue de gouverne. Elle relâcha son étreinte lorsqu’elle fut certaine que la vivenef avait pris son rythme de croisière.
Le vent qui faisait battre ses cheveux indiquait une vélocité de déplacement incroyable. Les crols avaient pourtant nettement ralenti au moment d’encaisser la charge du navire, mais ils se tortillaient de plus belle pour regagner leur pleine vitesse. C’était proprement incroyable. Sinsarra n’avait jamais fendu l’air aussi vite, même sur le dos des fringants équidés du désert scyonnien. Le vieil architecte éclata d’un rire à pleine bouche, enroué mais sonore comme un rire d’enfant. Il esquissa une gigue improvisée devant la jeune femme ébahie, les yeux brillants comme s’ils étaient baignés par des larmes de joie. Son rire se mua en une divagation tranquille et heureuse.
- Je peux te le dire maintenant, lâcha-t-il sur le ton de la confidence. J’avais une confiance très limitée dans le système d’amortissement dont j’ai fait équiper les aussières de halage. S’il s’était avéré trop souple, il aurait absorbé inutilement une bonne partie de l’énergie de traction ; et s’il s’était révélé trop rigide, le navire aurait tout simplement pu se briser en deux. On l’a échappé belle !
- Angu, vous êtes un génie…
Il accueillit avec un gloussement de plaisir le compliment.
- Et un homme de bien ! poursuivit la jeune femme plus sourdement.
Il la regarda de ses bons yeux clairs, d’un air qui voulait dire courage, rien n’est jamais perdu d’avance. Elle sourit, oubliant pour un temps qu’elle n’y croyait plus.

 

Le baron semblait éberlué, et à son expression on aurait dit qu’il n’avait jamais envisagé ce qui pourtant se racontait dans toutes les tavernes d’Altaïa.
- En admettant que vous ayez raison, soupesa le gros homme, je dis bien en admettant, car je demeure perplexe ; pourquoi alors lui donneriez-vous ce qu’il attend ?
Le ricanement qui franchit les lèvres de Tamgaali exprimait cynisme et détermination.
- Qui a parlé de lui donner ce qu’il souhaite ? Je n’évoque pas une simple escarmouche d’intimidation, qui ferait parfaitement l’affaire des Cyréniens, je parle de leur briser la mâchoire avant qu’ils ne montrent les dents !
Mudir Nabd pâlit et parut se dissoudre dans sa graisse. Il ne semblait pas avoir peur, juste être la proie de tumultueuses pensées contradictoires. Tamgaali les voyait presque se succéder sur son visage congestionné. Il n’ignorait pas les liens troubles que le baron entretenait avec Cyrène. Nombre de pirates de la contrée septentrionale venaient dépenser le fruit de leurs pillages sur son île et les liens commerciaux qu’il entretenait avec le roi Turpan n’étaient un mystère pour personne. Tamgaali avait volontairement partagé avec le baron le projet qu’il allait soumettre au roi des rois, en souhaitant secrètement que l’information parviendrait rapidement aux oreilles des Cyréniens et les inciterait peut-être à sortir du bois les premiers. Car il doutait en vérité que le roi d’Ancyre accepte de s’engager sur la voie des armes sans une sérieuse provocation des Cyréniens. Tamgaali constata que Sinsarra était également mal à l’aise. Pensait-elle qu’il avait été trop loin avec le baron ? Il lui destina un regard rassurant avant de lâcher un air satisfait à Mudir Nabd.
- Deux amis doivent toujours se parler franchement, dit-il doucement, puis plus haut : Je sais que vous choisirez le bon camp une fois que cela s’avèrera nécessaire !
Mudir Nabd se redressa, en faisant rouler son énorme masse de chair flasque entre les suspenseurs du siège d’orichalque. Ses lèvres épaisses semblèrent tester différentes mimiques avant de stopper sur un sourire grimacier.
- Soyez sans crainte, affirma-t-il d’un ton de fausset. La double couronne d’Ancyre est assurée de mon plus féal attachement, et ce quelles que soient mes autres obligations. Bon, il est temps pour moi de me retirer. Le sommeil et le vin alourdissent mon esprit. Que vos voyages soient bénis par de bons cieux et des vents cléments.
Il inclina cérémonieusement sa grosse tête en direction de Sinsarra puis de Tamgaali, qui lui retournèrent son urbanité, puis quitta leur table en glissant sans un bruit. Le prince tarse se retourna vers la Scyonienne, haussant les sourcils en réponse à sa moue ironique.
- Quoi ? Tu trouves que j’y ai été un peu fort ?
Elle secoua la tête, envoyant des boucles blondes caresser ses épaules.
- En finesse, tout en finesse. Je pense que ce vieux brigand doit être en train de réfléchir à toute vitesse pour trouver un moyen d’affirmer ses liens de vassalité envers Ancyre tout en ménageant ses intérêts commerciaux avec Cyrène.
- Je ne m’en fais pas pour lui, il serait capable de vendre un stock de sandales à une armée de culs de jatte !
Sinsarra rit de bon cœur.
- On s’en va ?
- Avec plaisir. Je suis impatient de retourner sur la Paix des Incréés et de profiter de cette soirée…
Il dédia un sourire roublard à la jeune femme.
- Angu à pris dans sa cabine Eï-Mor pour la nuit, si tu vois ce que je veux dire…
Les yeux clairs de la scyonniène reflétèrent la clarté de la torchelave tandis qu’elle se levait souplement.
- Je sens que je vais aimer cette soirée, ronronna-t-elle en frôlant Tamgaali.
« Pas si sûr ! » trembla Thomas du fond de sa cachette. Durant l’échange que Mudir Nabd avait eu avec Tamgaali, la stupeur avait momentanément fragilisé les barrières mentales du baron. Thomas en avait profité pour s’engouffrer dans la brèche et explorer l’esprit de l’obèse, qui s’était révélé au moins aussi contrefait que son enveloppe corporelle. Et l’affreuse révélation qui lui était venue l’avait tétanisé : le baron avait été acheté par le roi de Cyrène pour l’aider à se débarrasser de Tamgaali ! Un messager était parti alerter un groupe d’assassins cyréniens présents sur l’île dès l’arrivée du prince Tarse au palais. Si Thomas ne tentait rien dans les prochaines minutes, son hôte allait tomber dans un guet-apens dont il ne réchapperait pas !

 

Le prince s’exécuta docilement. Il brûlait d’une haine froide dirigée contre le baron mégarien, et se sentait prêt à tout pour se venger.
« Dernier détail important. Tu dois maîtriser ton animosité et la contenir derrière ton contrôle mental. Sinon, tu seras immanquablement repéré. »
Thomas sentit les barrières s’abaisser sur l’esprit de Tamgaali, le privant d’une partie du tissu émotionnel du tarse.
« Je suis prêt ! » émit le prince.
« Go ! » songea Thomas. Il éleva le niveau de vibration de son hôte et le déposa dans la grande salle voûtée. Elle était brillamment illuminée à présent et traversée par une nuée de cous-cerclés en livrées et cache-tête assortis, occupés à débarrasser les tables et astiquer mobilier et sol. Personne ne s’inquiéta de voir surgir un maître de la vibration fossile. Tous les demi-hommes s’écartèrent respectueusement sur son passage, baissant les yeux en gage de soumission. Tamgaali s’engouffra dans l’ouverture aménagée derrière la draperie aux poissons-pilotes, comme si de rien n’était. Il parcourut un dédale de couloirs de services étroits et d’escaliers abrupts, éclairés chichement par des brilleurs muraux. Les cous-cerclés qu’ils croisaient étaient cette fois visiblement surpris, mais aucun n’osa demander au prince ce qu’il faisait là. L’un d’eux sembla pourtant sur le point de le faire mais se ravisa au dernier moment.
« Il va signaler ta présence à son responsable ! » avertit Thomas. « Nous ne tarderons pas à avoir toute la soldatesque du palais sur le dos, faut vraiment pas traîner. Prends la porte à gauche après cette volée de marches. Nous devrions surgir devant l’un des accès du quartier privé de Mudir Nabd. »
« C’est là que cela va commencer à se gâter ? » ironisa le prince.
« J’en ai peur. Laisse-moi déblayer le passage et fonce tout droit. Les appartements du baron sont au bout d’une sorte de grande galerie. »
Tamgaali déploya le champ d’exclusion d’une pichenette mentale et surgit comme une furie dans un vestibule richement décoré de tentures d’eau lente. Six gardes armés de vivépées et d’ondefeux poussèrent des glapissements stridents en voyant paraître l’intrus. Thomas ne leur laissa aucune chance. Il arracha aux cordes vocales de Tamgaali un cri de bataille surpuissant, qui balaya tout sur son passage : les soldats en faction comme la porte à double vantaux qu’ils étaient censé protéger. Un nuage de poussière et de gouttelettes d’eau emplit la pièce en tourbillonnant.

 

L’intrigue

Thomas se trouve confronté à la plus terrible épreuve depuis le début de sa quête : remonter aux sources de l’histoire pour tenter de découvrir le sixième et dernier nom d’Incréé, en sachant que cette recherche a toutes les chances d’être une mission dont il ne reviendra pas. Mais, suite à la destruction du chronoprisme pendant l’assaut contre Colossea, les portes du temps semblent s’être définitivement refermées devant le jeune homme.
C’est sans compter l’imagination illimitée de ses alliés du Projet Atlas. Sur leurs conseils, Thomas se lance sur les traces d’un serial killer doté d’un redoutable pouvoir : projeter l’esprit de ses victimes à travers le temps. Au terme d’une traque haletante dans les paysages sauvages de l’Ouest américain, Thomas obtient le moyen de dériver mentalement à travers les époques et se lance dans la plus formidable aventure de toute son existence.
Une aventure qui le mène sept mille cinq cents ans dans le passé et le projette dans les pensées du prince de l’une des civilisations du Premier Âge, sur le point d’être précipitée dans une guerre sans merci contre les Incréés. Emportés dans la tourmente d’un conflit qui les dépasse, Thomas et l’homme dont il occupe l’esprit collaborent, le premier pour réussir sa mission, le second pour survivre dans un monde en pleine déliquescence.
L’un et l’autre seront entraînés plus loin qu’ils ne l’auraient imaginé et mis sur la route du plus grand mystère de tous les temps…

 

L’avis des lecteurs

Je vient de finir le tome 7 et je suis euphorique. Ce tome était tout simplement magique. Mon préféré de la saga ! Le voyage dans le temps est un de mes thèmes favoris dans le fantastique et vous avez su l'exploiter de façon remarquable. Je me suis beaucoup attachée au personnage du Prince Tamgaali et j'ai hâte de le retrouver dans le prochain tome. Le prochain tome qui sera malheureusement le dernier de la saga ! …
Je vous remercie encore et toujours pour ces bons moments de lecture.
(une lectrice par mail)


Nous nous sommes rencontrés lorsque vous êtes venu dans une bibliothèque de Voiron. Vous m'aviez signé un livre et laissé votre adresse mail. Je tenais à vous dire que j'adore votre livre Thomas Passe-Mondes et j'aime beaucoup votre façon d'écrire. C'est mon roman fantastique préféré et j'ai même relu toute la série une 2nd fois. Ce que vous dites dans vos livres sur l'histoire de l'humanité est vrai ?
Amicalement, un admirateur.


J'ai enfin pus lire Ancyre, et je voulais vous remercier pour toutes les heures de plaisir passées en compagnie de Thomas.
Je trouve que vous vous êtes surpassé avec votre histoire d’extraterrestres semeurs de conscience, cette fin est très sympa. Faire comprendre au héro que l'ennemi éprouve des remords est assez inhabituel mais j'aime bien, surtout les dernières paroles de Thibaud ! :o)
Encore merci
(Thibaud J., par mail)

 

À la maison, on en est à Dilmun. On n’a pas hâte d’arriver au dernier tome ! Le kif ultime serait une adaptation au cinéma, je suis certaine que ça ferait un carton !
(commentaire d’une internaute sur la page facebook de la série)



Le saviez-vous ?

Mont RainierLe mont Rainier, dont il est question dans le septième tome de la série Thomas Passe-Mondes, est un volcan actif, point culminant de la chaîne des Cascades, dans le Nord-Ouest des États-Unis.

La taille du mont Rainier (4392 mètres d’altitude) le rend très visible dans toute la région de Seattle (état de Washington), et même depuis les villes de Portland (état de l’Orégon) et de Victoria (au Canada). La base du volcan couvre une superficie d’environ 250 kilomètres carré. Il représente un danger permanent pour près de deux millions d’habitants vivant dans les environs.

Découvert lors d’un voyage d’exploration mené en 1792 par Georges Vancouver, l’imposant volcan reçoit à cette occasion le nom d’un ami de l’explorateur, le contre-amiral Peter Rainier. Les indiens l’appelaient pour leur part Tacobet ou Tahoma, signifiant « lieu où naissent les eaux » et « la montagne Dieu ».